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Ostéoporose, interview d'Éric Lespessailles


Le docteur Éric Lespessailles est rhumatologue au Centre hospitalier régional d’Orléans.
Il est également chercheur (équipe INSERM U 658) et président de l’Institut de Prévention.
Recherche sur l’Ostéoporose (IPROS).

Pourriez-vous définir l'ostéoporose ?
C'est une maladie du squelette diffuse dont la conséquence est la fragilité des os et les fractures. Cette fragilité dépend de deux phénomènes. D'une part, un problème quantitatif, c'est-à dire de perte de quantité de matière au niveau des os, qui sont donc moins denses, moins calcifiés, criblés... Le deuxième aspect concerne plus la qualité de l'os. L'os est constitué d'une substance minérale et d'une substance organique. La substance minérale peut être plus ou moins riche, le cristal qui la constitue peut être de plus ou moins bonne qualité. Il en est de même pour le collagène, la partie organique de l’os...

Et concrètement, dans l'os, comment ça va se présenter ?
[…] On distingue l’os compact et l’os spongieux. Les os longs sont des sortes de tubes recouverts d’une enveloppe, l’os cortical, qui constitue leur paroi. D’autres os sont eux plus riches en os dit « spongieux » ou « trabéculaire », parce qu’il y a des travées osseuses. Selon que le maillage complexe de ces travées est correct ou complètement désorganisé, le matériau va être plus ou moins solide.

Un peu comme en architecture...
On fait très souvent ce parallèle. Imaginez : vous retirez à un endroit précis de la tour Eiffel une poutre qui pèse très peu comparée à l'ensemble du bâtiment. Si cette poutre est très importante dans l'organisation du bâtiment, la perte de force du bâtiment dans son entier est peut-être sans proportion avec la légère perte de poids occasionnée par le retrait d'une poutre. Dans l'os, ça peut être pareil, c'est-à-dire que si certaines travées sont supprimées à certains endroits, c'est à peine perceptible en termes de masse osseuse mais cela peut avoir des conséquences importantes sur la solidité de l'os.

Y a-t-il d'autres conséquences que les fractures ?
L’essentiel des conséquences, ce sont les fractures et leur retentissement sur la qualité de vie et l’autonomie des personnes qui en sont victimes. Les patients peuvent avoir une fragilité osseuse sans le savoir, la fracture est l’agent révélateur. La douleur n’apparaît qu’au moment d’une fracture. On peut perdre régulièrement un petit peu d’os sans avoir mal. On parle d’ailleurs d’épidémie silencieuse.

Comment peut-on justement la détecter si elle est silencieuse ?

Il faudrait déjà, à chaque fracture, se poser la question : « Est-ce que cette fracture a un rapport avec l’ostéoporose ? »
Il y a d’ailleurs eu des progrès depuis 2006 puisque la mesure densitométrique est prise en charge par la sécurité sociale […] en cas de fracture vertébrale ou d’antécédent personnel de fracture périphérique survenue sans traumatisme majeur. Ce n’est pas la fracture qui survient dans un accident de la route très violent mais suite à une chute de sa hauteur, voire de quelques centimètres de haut. Quand on a une fracture, on a tendance à banaliser, à dire : « Je suis tombé, je me suis cassé un os, c’est normal».  Heureusement que quand on tombe, il n’y a pas forcément une fracture à la clé !
La survenue d’une fracture est peut-être le témoin qu’il existe un problème de fragilité osseuse, il est donc légitime de proposer une densitométrie dans cette situation. Pour certaines maladies ou certains traitements comme la cortisone, on peut aussi avoir droit à cet examen […].

Pouvez-vous expliquer ce qu’est la densitométrie ?
C’est un examen qui mesure l’absorption des rayons X par nos tissus. Une partie va être absorbée par les tissus mous, l’autre par les tissus durs. La machine sait ce qu’elle émet comme rayonnement, les capteurs de l’autre côté permettent de voir ce qui a été absorbé et on fait la différence pour savoir ce qu’il reste. L’absorption par le corps solide est d’autant plus grande que sa densité est élevée. Ça porte donc sur la densité mais vous parliez aussi de la qualité des os. La densitométrie mesure l'aspect quantitatif mais ses images permettent d'autres choses. On peut regarder les aspects géométriques des os, en particulier au niveau du fémur. Des logiciels permettent de calculer l'épaisseur de l'os cortical, qui a un rôle dans la genèse des fractures du col du fémur. C'est une application de recherche mais on a aussi des techniques qui, à partir de cette imagerie, doivent être capables de donner une idée de la mécanique de l'os.
Par cette même technique, on peut voir assez bien toute la colonne vertébrale de profil. On peut éventuellement voir des aspects de fracture, qu'on va devoir confirmer avec une radiographie. Il faut savoir que quelqu'un qui a déjà fait une fracture a plus de risques d’en refaire que son voisin, à densité égale. Il y a donc autre chose que la densité des os qui explique ces fractures, notamment des aspects qualitatifs. […] L’épidémiologie nous montre qu'un pourcentage important de femmes font des fractures alors qu'elles n'ont pas d'ostéoporose ou qu'elles sont situées dans une catégorie que les médecins nomment l'ostéopénie, soit des valeurs densitométriques qui ne sont ni normales ni considérées par les règles de l'OMS comme étant de l'ostéoporose. Pénie signifie « qui manque ». Ostéopénie : il manque de l'os. C'est une catégorie intermédiaire. C'est important de suivre ces femmes et de les prendre en charge parce qu'elles représentent pratiquement la majorité des femmes qui vont avoir des fractures. Pour le moment, leur prise en charge n'est pas optimisée parce qu'on ne traite que les femmes ayant déjà eu des fractures ou dont la densité osseuse est tellement basse qu'on soupçonne un risque important de fracture. On peut en revanche leur transmettre des messages de prévention sur l'alimentation et sur l'exercice physique, que ce soit pendant l’acquisition de masse osseuse ou au moment de limiter la perte lorsque les problèmes hormonaux de la ménopause surviennent.

Pour les personnes souffrant d’ostéoporose, l'exercice physique peut comporter des risques ?
Il y a des activités physiques qui sont bien sûr plus recommandées que d'autres. […] Dans un monde idéal, il faudrait faire des exercices avec des impacts comme la gymnastique. […] Il y a des activités plus communes comme la marche dont l’efficacité sur la perte de masse osseuse a été démontrée scientifiquement Ça ne coûte pas cher, c'est recommandé pour d'autres maladies, comme les maladies cardio-vasculaires, certaines maladies articulaires... Pour être efficace, la marche doit être un peu rapide, plutôt du 5 à 7 km/h que du 3.
On déconseille par contre le ski, le parapente, tout ce qui risque d'entraîner des chutes... La chute appelle la chute. On va donc conseiller à la personne des activités où on ne la met pas en situation de risque de chute. C’est pour cela que le médecin est le mieux placé pour dire ce qu’on peut faire ou pas. Mais il faut continuer parce que les bénéfices s’estompent si on s’arrête. Et pour cela, il faut que l’exercice physique recommandé soit ludique.

Parlons de la vitamine D

Elle permet d'augmenter l'absorption du calcium et de le fixer efficacement sur les os. Elle est donc indispensable. Certains aliments contiennent de la vitamine D synthétisée par la peau naturellement sous les effets du soleil. Dans un pays comme la France, avec un niveau d’ensoleillement variable, la prévalence de la carence en vitamine D est importante. Certains pensent qu’il faudrait supplémenter tout le monde. Son rôle est prouvé dans la prévention des chutes et des fractures périphériques (poignet, fémur…).

L’ostéoporose est-elle dégénérative ? Guérissable ?

Dégénérative, ça voudrait dire qu’elle survient avec l'âge. L'âge a une incidence indéniable mais on sait aussi maintenant qu'il y a un conditionnement génétique. Certains ont même dit que c'était une maladie pédiatrique parce que nos gènes conditionnent en partie ce qu'on appelle notre pic de masse osseuse. C'est le moment de notre vie où on est au maximum de notre quantité de matériel osseux assemblé sur notre squelette. Ce pic dépend à près de 80 % de la génétique. Il y a des moyens pour optimiser ce pic en ayant au moment de la croissance, dans la phase qui est l'une des plus importantes, des apports calciques et vitaminiques suffisants et en faisant certains exercices physiques plutôt que d'autres. À l'inverse, cette période peut être délétère si on fume, si on ne fait aucun exercice physique, si on a des maladies comme l'anorexie par exemple, qui va provoquer des troubles profonds, non seulement parce que les apports ne vont pas être bons, mais aussi parce que la maigreur est un facteur de risque d'ostéoporose. En prévention, on empêche la survenue de la fragilité de l'os et avec le traitement, on diminue le risque qu'il y ait d'autres fractures mais on ne l'enlève pas complètement parce que c'est très multifactoriel. On sait que dans les fractures, il y a un autre aspect, la chute, et les traitements de l'ostéoporose ne diminuent pas ce risque. Ils renforcent éventuellement certains paramètres de l'os, quantitatifs ou qualitatifs, mais ils ne vont pas limiter le risque de chute, là il y a d'autres procédures à mettre en place. On ne peut pas dire guérissable : on peut limiter le risque de fragilité osseuse.

Quels sont justement les facteurs de risque et dans quelles proportions ?

La pondération n'est pas facile. L'âge est un facteur de risque évident, la densité osseuse, les antécédents personnels de fracture, la sévérité de la fracture aussi, les antécédents parentaux, un indice de masse corporel trop bas, le taux d'imprégnation œstrogénique… Et il y a d'autres facteurs de risque moins « mesurables », comme l'architecture des os, certains médicaments, le tabagisme, certaines maladies comme par exemple la polyarthrite rhumatoïde.

Nous avons parlé de l’ostéoporose chez les femmes, mais la maladie existe aussi chez les hommes ?

Le principe est le même chez les hommes, sauf au moment de la ménopause puisqu’il n’y a pas d’«andropause» chez les hommes, il n’y a pas cette perte osseuse exagérée qui survient au moment de la ménopause. Il y a un système d’apposition d’os sur l’enveloppe corticale différent de celui qu’on observe chez la femme et il y a le fait que les pièces osseuses des hommes sont plus grosses. Et quelque chose qui est plus gros, indépendamment de la quantité de matière qu’il contient, va mieux répondre à la sollicitation mécanique que quelque chose de plus petit. Finalement, tous ces facteurs font qu’il y a moins de fractures chez les hommes que chez les femmes. En revanche, il y a d’autres différences, notamment en termes de retentissements.
Les fractures de la hanche chez les messieurs surviennent en fin de vie, comme chez les femmes, mais elles sont plus graves. Par ailleurs, si le facteur majeur d’ostéoporose chez les femmes est la carence en œstrogènes, les causes sont multiples et intriquées chez les hommes. Lorsqu’on est confronté à l’ostéoporose chez un homme, l’objectif est d’ailleurs de rechercher toutes les causes potentielles. Au premier rang desquelles les corticoïdes, l’alcoolo-tabagisme et l’hypogonadisme, qui équivaut en quelque sorte à une ménopause chez l’homme. Ce sont les trois causes principales ; il y en a d’autres.

Auteur(s): Clément GILBERT, journaliste - Mise à jour jeudi 04 juin 2015